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Entre tradition et innovation, le whiskey irlandais recherche pour le vieillissement comme pour la maturation, à affiner son éventail de saveur avec une sélection de fûts de plus en plus innovante. La preuve par Ian Wizniewski.

Comme tout amateur de whisky, nous chérissons la tradition. Mais comme nous avons aussi soif d’émotions, nous dépendons de l’innovation. Un mot-clé résume les transformations qui ont lieu à l’heure actuelle en Irlande, et les importantes conséquences qui en résultent : sélection des fûts. Le whisky irlandais est habituellement vieilli en fûts de bourbon réputés pour leur apport en notes vanillées mais aussi en fûts de xérès, qui cèdent des notes de fruits secs, abricots et raisins secs. Toutefois, une nouvelle génération de whiskeys irlandais met en valeur l’influence de fûts innovants, qui va bien au-delà de ce choix traditionnel.

«Cela ressemble aux premières annonces d’un grand prix de poker en Irlande. S’agissant du choix des fûts, tout le monde se lance dans toutes sortes d’expériences, car c’est avec des fûts différents que l’on obtient les plus grands changements», explique Kevin Keenan, directeur de la création pour la distillerie Glendalough.

Des fûts innovants sont utilisés soit pour un cycle de maturation complet, soit pour une maturation secondaire, également appelée finishing ou affinage, qui apporte une gamme supplémentaire d’arômes et de saveurs aux whiskies élevés en fûts de bourbon ou de xérès.

Des fûts innovants

Green Spot Chateau Montelena est un bel exemple ce que l’on peut obtenir d’une barrique de vin. Ce whiskey irlandais pot still est d’abord vieilli en fûts de bourbon et de xérès, puis affiné pendant une année en barriques de chêne français ayant auparavant contenu un vin de cépage zinfandel, provenant de la célèbre cave viticole Chateau Montelena dans la Napa Valley, en Californie.

«Nous voulions conserver l’ADN de Green Spot, c’est-à-dire des notes de pommes rouges mûres, de poires mûres et la suavité, entre autres, tout en équilibrant ce profil aromatique par l’influence du vin de zinfandel et du chêne français. Le zinfandel apporte des arômes de cerise, fraise, canneberge et framboise. En bouche, on est sur des agrumes savoureux, fruits mûrs du verger et baies rouges, avec un soupçon de chêne français toasté», explique Kevin O’Gorman, responsable de la maturation de la distillerie Midleton.

Le whiskey single malt Teeling illustre bien ce que peut être une maturation en fûts multiples, en l’occurrence en barriques de vin et de vin muté. Il se compose notamment de whiskeys vieillis en fûts de xérès, de porto et de madère, en fûts de vin rouge originaires de différents pays, les barriques en chêne français, par exemple, apportant des notes légèrement épicées et une finale sèche, tandis que des fûts de bourgogne blanc et de chardonnay originaires de différents pays cèdent des notes supplémentaires de poire, figue et melon.

Sortir des sentiers battus

Cela semble assez extraordinaire, mais qu’elles sont les questions pratiques et les difficultés que soulève l’approvisionnement en fûts originaux et intéressants ?

«Si l’on recherche quelque chose de différent, il faut sortir des sentiers battus, explique Kevin Keenan. J’ai dû prendre trois avions pour aller dénicher dans un coin perdu du Japon la tonnellerie qui nous a fourni nos fûts de chêne mizunara. Ils avaient servi pour l’affinage d’un single malt de 13 ans, et nous ont apporté des notes intenses de vanille, une stratification de notes de marmelade, de bois de santal et une luxueuse finition de chocolat au lait.»

Mais les belles occasions existent également moins loin, comme dans le cas de Midleton Dair Ghaelach Bluebell Forest élevé en partie sous bois de chêne irlandais. Cet Irish whiskey single pot still est composé de distillats pot still vieillis de 12 à 23 ans sous bois de chêne américain, et ensuite affinés 19 mois dans des hogsheads neufs en chêne d’Irlande.

«Les fûts en chêne irlandais apportent un toucher en bouche crémeux, des notes intenses de vanille, chocolat, caramel et crème brûlée, tandis que des notes de cannelle et de clou de girofle s’expriment dans les épices du whiskey pot still, explique Kevin O’Gorman. Toutes ces saveurs fonctionnent en harmonie.»

Un jus sous influence

L’innovation soulève par ailleurs une question de fond : comment la distillerie évalue-t-elle l’influence qu’un fût peut exercer sur le whiskey, si elle n’a jamais utilisé auparavant ce type de fût en particulier ?

«La première étape consiste à goûter l’alcool qui a vieilli dans le fût en question, quel qu’il soit », répond Kevin Keenan. « Cet alcool qu’on appelle “liquide prédécesseur” me donne une bonne idée de l’influence potentielle du fût, influence que je vérifie ensuite sur une petite quantité de whiskey.»

Cette période d’essai doit bien entendu être aussi informative que possible ; il existe un moyen pratique de s’en assurer.

«En général, ce que nous enfûtons dans un fût qui n’a pas encore été testé, c’est un mélange de whiskey de grain et de whiskey de malt, ajoute Iain Wood. Cela forme comme une toile de fond sur laquelle s’exprime le fût, plus rapidement que s’il s’agissait d’un single malt. En 6 mois, on peut se faire une idée raisonnable de l’influence potentielle du fût et de la direction dans laquelle se dirigera le whiskey. Nous avons utilisé récemment un fût de calvados. C’était un peu comme tirer à l’aveuglette. Il nous a apporté des arômes et saveurs de pomme et de poire, avec une gamme considérable de nuances, y compris de pomme cuite au four, ainsi que de caramel, le tout fonctionnant très bien avec le whiskey.»

Quelle est ensuite la régularité du contrôle du fût et de son influence ?

«Je consacre un jour par semaine à la visite des chais. Les fûts qui n’ont encore jamais été utilisés auparavant sont échantillonnés une fois par semaine, car la plus forte absorption d’arômes et de saveurs a lieu au cours des toutes premières semaines, ajoute Iain Wood. À partir du moment où nous disposons d’un historique de l’impact du type de fût sur nos whiskeys, je les échantillonne une fois par mois.»

De l’influence du temps

Chez Teeling Distillery, la période d’affinage dure habituellement de 12 à 18 mois, en fonction du type de fût.

«Nous livrons des fûts de rhum à la brasserie de Galway Bay où ils sont remplis de stout Imperial, puis nous les utilisons pour nos affinages, poursuit Iain Wood. Ces fûts apportent des notes de chocolat noir et de café qui atteignent leur apogée vers 6 à 9 mois, à la suite de quoi leur influence commence à diminuer. Le facteur temps est décisif.»

Une précision qui en appelle une autre : selon quels critères décide-t-on du moment où l’apport du fût est optimal ?

«En termes d’équilibre, nous faisons très attention que le caractère du whiskey ne soit jamais surpassé par l’influence du fût, explique Helen Mulholland, maître distillatrice chez Bushmills Irish Whiskey. Nous utilisons l’influence du fût uniquement pour rehausser le caractère de Bushmills, et non pour le dominer entièrement.»

Un amateur de whisky est toujours impatient de déguster une nouvelle expression : aujourd’hui, nous avons la chance de vivre une époque extraordinaire où les nouveautés n’ont jamais été aussi nombreuses, ni la gamme des whiskeys irlandais aussi vaste. Toutefois, après l’échantillonnage et l’évaluation, se pose une question impérieuse.

«Dans les foires au whisky où nous présentons nos produits, on nous demande systématiquement : “Et après ?”, ajoute Kevin Keenan. Comme nous sommes une distillerie artisanale, ce que nous aimons faire, c’est innover, et c’est qui intéresse les amateurs de whiskey. Du coup, nous continuons dans cette voie. Nous commercialisons deux à trois nouveaux whiskeys par an, ce qui représente un maximum si nous voulons les présenter de manière convenable et en assurer le suivi commercial.»

Une telle diversité étant déjà disponible, dans quelle mesure la sélection des fûts peut-elle se spécialiser et sortir davantage des sentiers battus ?
«Je suis convaincue que la sélection de fûts spécialisés est une pratique qui progressera encore, parce que le whiskey irlandais connaît un succès qui ne se dément pas et que la demande des consommateurs pour nouvelles saveurs ne faiblit pas. Je suis sans cesse à la recherche de nouvelles façons d’être créative pour ces nouveaux produits, de sorte que l’on peut dire qu’en matière de sélection des fûts, les possibilités sont vraiment illimitées !», conclut Helen Mulholland.

Par Ian Wizniewski

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