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Elle a appris les ficelles de l’assemblage aux côtés des plus grands, travaillant au fil du temps sur les whiskies d’Ardbeg et Glenmorangie, de Laphroaig et Bowmore, d’Auchentoshan et Bowmore – et bien d’autres encore. Il y a bientôt deux ans, elle rejoint Brown Forman, avec pour mission de veiller sur les malts de GlenDronach, BenRiach et BenRiach . Celle qu’on surnomme Lady Blender nous livre les secrets de son savoir-faire.

Quel est, au quotidien, le travail d’un.e master blender ?

C’est la personne qui décide de la gamme de single malts, de leur composition, des fûts dans lesquels ils vieillissent, qui crée les nouveaux produits. C’est aussi la gardienne de la qualité et de la constance des assemblages. Cela nécessite d’avoir une compréhension profonde des spiritueux à chaque étape de leur fabrication, travailler en étroite collaboration avec les distilleries. Et, au final, il s’agit de faire le meilleur whisky possible.

Comment procédez-vous concrètement pour assembler un single malt ?

Un single malt de la gamme, ou une nouveauté qu’il faut créer ?

C’est très différent ?

Très. Dans le premier cas, on part d’un goût qui existe déjà, et que l’on doit reproduire avec ce qu’on a. Il faut chercher dans les chais les millésimes et les qualités de bois adéquates, connaître le stock avec précision. La majeure partie du travail consiste à échantillonner des dizaines et des dizaines de fûts pour choisir ceux qu’on retiendra dans l’assemblage. GlenDronach 12 ans, par exemple, doit avoir le même goût à chaque batch au fil du temps, même si chaque fût est un peu différent. Mais il doit aussi garder la même texture, le même équilibre entre les arômes, la même longueur en bouche, la même couleur – la robe de nos whiskies n’est pas rectifiée au caramel colorant. C’est une tâche très minutieuse. Pour assembler un nouveau produit, ont part d’une idée, en tenant compte du caractère de la distillerie et de l’état du stock, afin d’imaginer quelque chose de différent. Par exemple, si j’ai envie de créer le GlenDronach le plus fruité possible, comment ferai-je ? Quels fûts, de quels âges, combinés comment ? Etc.

 

Est-ce la même chose d’assembler Ardbeg ou GlenDronach, Laphroaig ou Glenglassaugh ?

Chaque single malt est différent, chaque distillerie a une personnalité différente, mais mon job reste le même. L’important, c’est de comprendre en profondeur le caractère du spiritueux avec lequel vous travaillez.

Quand vous commencez à travailler pour un autre groupe, une nouvelle distillerie, quelle est la première chose que vous faites pour “comprendre” ?

Je vais dans la ou les distilleries, j’y passe du temps pour bien sentir les lieux, le terroir, les ingrédients. J’essaie d’apprendre tout ce que je peux sur la nature de la distillerie, du whisky, son histoire, je veux comprendre le goût, la gamme, les whiskies du passé et du présent. Et surtout, je sens et je goûte des milliers d’échantillons de tous les âges, tous les types de fûts, pour connaître le stock avec précision, comprendre chaque chai… Cela prend du temps. Cela fait un an et demi que je travaille dans le groupe Brown Forman, et j’ai désormais une vision plus précise de la personnalité de chaque distillerie. Maintenant, je peux développer une vision pour le futur. Nous avons des whiskies magnifiques, old school à bien des égards, il faut travailler les réglages en finesse, sans grands bouleversements.

Est-il plus facile d’assembler un whisky avec ou sans compte d’âge ?

Cela dépend du whisky. L’âge est une contrainte, notamment en termes de stock : si vous voulez assembler un single malt de 30 ou 40 ans, vous aurez évidemment très peu de volumes pour travailler. Avec un NAS, vous disposerez d’un volume plus important, d’une palette plus variée, vous pourrez faire preuve de plus de créativité, créer des produits vraiment différents. Un compte d’âge, s’il est suffisamment élevé, vous donne en outre… le bénéfice de l’âge ! Le whisky gagne en souplesse, en complexité, en profondeur, en équilibre. À partir de 30, 40 ans, il prend des arômes distinctifs de “vieux whisky” et, wow, c’est le saint graal ! Assembler un NAS, c’est un plus grand défi.

 

Un plus grand défi en quoi ?

Les NAS sont souvent assez jeunes, et pour leur donner de la complexité, il faut multiplier les strates d’arômes. Avec des whiskies plus âgés, ces strates sont présentes dès le départ, vous avez la complexité, la longueur en bouche, la profondeur. Pour les whiskies plus jeunes, il faut bien sûr partir du meilleur distillat possible, mais on a surtout besoin de chêne de très, très bonne qualité, des fûts de premier remplissage en majorité, pour enrichir l’aromatique.

Votre approche est-elle différente quand vous assemblez des whiskies tourbés et non tourbés ?

Oh oui ! Très différente. Les tourbés sont en général très intenses, surtout s’ils sont jeunes. You get hit by the peat ! L’âge leur donne plus de complexité, atténue la tourbe. Assembler un jeune tourbé est toujours un défi, car le bois, la maturation, ne domptent pas facilement ces arômes dominants. Si on ne veut pas que la tourbe écrase tout, il faut commencer par maîtriser son niveau sur l’orge dès le départ, ou marier le single malt avec d’autres non tourbés, afin d’obtenir des notes fumées plus subtiles, et toute une série d’autres arômes autour. Une minuscule augmentation du niveau de tourbe changera considérablement le résultat final. Cela peut donner des notes plus âcres, il faut être vigilant.

 

Pendant la maturation en fûts, quelle est la plus grande influence : le type de chêne, le précédent contenu, le type de chai… ?

Tout a une influence. Le plus important, le point cardinal, c’est le caractère du distillat. Ensuite, le type de bois, beaucoup plus que le précédent contenu. En réalité, c’est la façon dont ce contenu interagit avec le chêne qui a une influence. Des fûts de xérès oloroso ou de pedro ximenez donnent des résultats très différents car leurs pH sont différents, la manière dont ils s’oxydent est différente, la façon dont ils extraient et attaquent les tannins… C’est ce que le xérès fait au bois qui compte, pas le goût du xérès.

Vous êtes une scientifique de formation, l’une des rares masters blenders hautement diplômées en chimie, et pourtant vous exercez un métier dont on dit qu’il est un art, qu’il repose sur l’expérience et le feeling. Que vous apporte la science dans votre pratique ?

La science aide à comprendre le pourquoi des choses, d’où viennent les arômes, pourquoi ils se créent – même si bon nombre de phénomènes restent inexpliqués dans la fabrication du whisky. Un scientifique ne cesse jamais de se demander “why ?”, au quotidien. Maintenant, une fois qu’on a dit cela, créer un whisky relève totalement de l’art, et pas de la science. Composer un assemblage, sélectionner des fûts, c’est faire confiance à ses sens, à ses intuitions, à son expérience, c’est un talent qui ne s’acquiert qu’en ayant senti des milliers et des milliers de whiskies, jusqu’à développer un instinct qui vous fait dire à l’avance : oui, ça, ça va marcher. Ça c’est l’art. La science vous donne simplement l’explication derrière.

 

Y a-t-il un mystère dans les arômes, un big “why ?” que vous ne vous expliquez toujours pas, et que vous espérez comprendre un jour ?

Oui, oui, oui ! Les top notes de fruits tropicaux, qui se développent avec l’âge le plus souvent. D’où viennent-elles ? Je n’ai toujours pas totalement percé ce mystère. Et puis, qu’est-ce qui fait que le style original de GlenDronach est aussi complexe, avec une telle longueur en bouche ? Parce que ça, pour moi, c’est la quête ultime : c’est la richesse et la longueur de la finale qui fait les meilleurs whiskies. Je possède certains éléments de compréhension, mais pas la totalité.

Votre CV indique que vous avez travaillé à “développer le fût de bourbon idéal pour la maturation du single malt”. Quel est donc ce fût idéal ?

Un fût taillé dans du chêne américain d’au moins cent ans, longuement séché à l’air libre, ayant contenu le premier spiritueux pendant des années… C’est un long process qu’on ne peut pas accélérer.

Je vous ai entendu dire que vous souhaitiez “optimiser le fruité” de GlenDronach. Comment ?

En partant d’un moût très clair, ce qui suppose certaines spécifications dans la façon de moudre l’orge, les bonnes températures de brassage, puis le bon type de fermentation. Le moût clair est la clé du fruit, c’est ce qui crée le bon environnement pour que les levures développent ensuite ce type d’arômes.

Mais il existe toute une gamme de fruits : fruits rouges, agrumes, baies noires, fruits tropicaux… Ils se créent de quelle façon ?

Ça, on le saisit de mieux en mieux, mais toujours pas complètement. La température de l’eau – de fermentation, de distillation, de refroidissement dans les condenseurs – joue un rôle crucial. La micro-flore dans l’environnement peut intervenir également. Quand on comprend le “pourquoi”, on a davantage d’outils pour travailler, mais il y a encore tant de choses qu’on ne s’explique pas

dans le whisky.

Par Christine Lambert

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