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Après avoir annoncé une modification des règles de la maturation du scotch, permettant le recours à des types de fûts jusqu’ici retoqués, la SWA se livre à une explication de textes auprès des producteurs.

L’annonce par la Scotch Whisky Association (SWA) d’une modification des règles de maturation du scotch, intervenue la semaine dernière, a suscité moult commentaires et réactions, parmi les producteurs, les journalistes et les amateurs. Damned, le whisky écossais allait (enfin) pouvoir s’affranchir à l’occasion des sacro-saints fûts de bourbon, xérès, vins, rhum et autres bière ou cognac pour vieillir en tonneaux de calvados, de tequila, de gin, de baijiu… – on en passe et des pas toujours meilleures –, autant de types de barriques jusque-là retoqués (sans être explicitement interdits) au motif que leur utilisation n’était pas “traditionnelle” dans l’histoire du scotch.

L’info à peine tombée, la team Tradition & Histoire sautait à la gorge des pro Innovation & Modernité – éternel débat de deux dogmes qui finissent toujours par se réconcilier après des affrontements salutaires. Si le scotch n’avait jamais évolué depuis sa création, puis-je vous le rappeler, les esthètes ne le dégusteraient pas dans un verre à col tulipe, sec et vieilli aussi longtemps que possible, mais dans une timbale, non (ou à peine) âgé, avec du miel, des herbes et du citron pour faire passer le napalm. Les innovations du jour seront peut-être les traditions de demain, allez savoir. Au passage, essayez de ne pas rire en voyant le calvados basculé pour la première fois dans son histoire au chapitre de la modernité qui s’écrit.

 

Les fûts de gin, c’est niet

Mais revenons à nos tonneaux. Que dit le nouvel amendement ? Que le scotch whisky peut être maturé/affiné en fûts de chêne neuf ou précédemment utilisés pour élever du vin (y compris fortifié), et/ou de la bière et/ou des eaux-de-vie, à l’exception : 1) de celles et ceux élaborés à partir de ou avec des fruits à noyaux ; 2) des bières et eaux-de-vie aromatisées ou édulcorées post-fermentation pour les premières et post-distillation pour les secondes. Concrètement, oui à l’élevage en ex-fûts de tequila ou de gin, non au finish en barriques de bière à la framboise ou d’eau-de-vie de cerise ? Pas si simple. A tel point que la SWA a dû envoyer à ses adhérents une explication de textes pour calmer l’emballement.

Toutes les eaux-de vie à noyaux sont bel et bien exclues des douelles dans les chais écossais. Non pas en raison de leur teneur en carbamate d’éthyle (substance cancérogène dont la présence est règlementée à des seuils inférieurs aux normes européennes sur certains marchés), comme certains de supputaient, mais parce qu’elles n’ont rien de traditionnel, non pas tant dans l’élevage du scotch (encore que ce soit le cas) mais dans leur propre histoire. Logique. Idem pour le baijiu, qui ne vieillit pas en fûts mais en pots de terre cuite. Exit le gin également, dont les expressions passées en barriques sont trop anecdotiques, m’explique un producteur des Highlands répétant les instructions de la SWA (l’aromatisation aux baies de genièvre ne semble pas poser problème, allez comprendre).

Les fûts de calvados et de tequila sont désormais autorisés, et à vrai dire il y a longtemps que certains producteurs ont pris les devants, sans toujours le vocaliser (lire les propos de Guillaume Drouin). Mais pour le reste, on se prépare dans les mois à venir de belles empoignades sur la définition de la tradition.

 

Le scotch devra toujours avoir le goût… du scotch

Néanmoins, l’industrie dans son ensemble a bien accueilli la nouvelle – certains l’attendaient avec impatience. “Cet amendement est une bonne chose, approuve Gregg Glass, ancien master blender de Compass Box passé il y a deux ans chez Whyte & Mackay (Dalmore, Jura, Fettercairn…). Il va dans le sens d’un plus large spectre aromatique en préservant l’essentiel, l’intégrité du scotch.” Lequel devra in fine “avoir le goût du scotch”, ainsi que le précise le texte. Les nouveaux types de fûts ne devront pas changer cela, et concerneront sans doute plus des finishes que des maturations intégrales.

“On ne doit pas se voiler la face, on a changé d’ère, reprend le maître assembleur. Le whisky est devenu global, mondial. Partout les micro-distilleries ont ouvert une voie nouvelle, et le scotch perd du terrain. Aux États-Unis, il se fait déborder par l’Irlande, dont les règles sont plus souples (1). Les consommateurs demandent de l’innovation, des goûts nouveaux, et on doit en tenir compte, mais il ne faut pas faire n’importe quoi. Heureusement, ils exigent aussi de la traçabilité, et avec un beau travail sur les fûts on peut apporter toute cette transparence.”

L’irrésistible poussée des whiskies du monde

Ne vous méprenez pas, je comprends que la pilosité des whisky lovers se hérisse sur fond chair de poule au son du mot “innovation”, servi ces dernières années pour accompagner les NAS (2) bricolés sur un bord de cuve, l’aromatisation des blends, les low ABV ou le storytelling “digital” (*pas de vanne, Christine, pas de vanne, pas de vanne…*). Mais petit un, une partie de ces nouveautés discutables ne se sont pas faites sous étiquette scotch whisky, et petit deux, quels que soient les outils à disposition, les producteurs consciencieux continueront à faire du beau boulot, et les charlatans qui travaillent comme des chèvres à bâcler leurs whiskies, eussent-ils vieilli en fûts de bourbon, de sherry, de tequila ou d’eau-de-vie de gland (3).

Le scotch atteint des records de ventes historiques, en volume et en valeur. Mais selon l’IWSR, il ne cesse de perdre en parts de marché, passées de 59 % en 2008 à 47,4 % en 2018. Alors que le whiskey américain, par exemple, bondissait dans le même temps de 19,5 à 25,4 %. Tous les pays ou presque produisent désormais du whisky, et tous sans exception bénéficient d’un engouement frénétique, de l’Irlande au Japon, de la France à l’Australie. La domination écossaise commence à se diluer mais ne nous y trompons pas : c’est la marque des géants que de savoir s’auto-administrer un coup de pied au fût.

(1) L’Irlande, comme la France, applique les règles européennes qui autorisent par exemple toutes sortes de bois et pas seulement le chêne dans la maturation du whisky.
(2) NAS (no age statement), whisky dépourvu de compte d’âge.
(3) Ça existe. N’insistez pas.

Par Christine Lambert

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