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Avec Hans Offringa, partons à la découverte d’un nouveau type d’alambic élaboré en Europe, qui sait combiner la force de la tradition et l’évolution technologique.

En Écosse et aux États-Unis, les distilleries de whisky sont soumises à de strictes restrictions et réglementations légales qui sont le plus souvent de nature à limiter la portée des innovations. Elles doivent en outre traiter avec des organisations qui représentent leurs intérêts, notamment la Scotch Whisky Association (SWA) en Écosse, et le Distilled Spirits Council of the United States (DISCUS) aux États-Unis. La première est un sourcilleux gardien des traditions et de leur perpétuation. La SWA a même tenté naguère, mais en vain, de faire interdire l’utilisation du mot glen par tout whisky non écossais, un distillateur canadien, de Nouvelle-Écosse, ayant commercialisé un single malt sous la marque Glen Breton. Cela ne signifie pas pour autant que l’innovation n’a pas droit de cité dans l’univers du whiskey américain. Bien au contraire. Même si l’eau-de-vie qui en résulte risque de tomber dans une catégorie autre que la catégorie officielle du whiskey, le marché n’en est pas moins enrichi par des potions intéressantes, notamment celles proposées par la distillerie Corsair de Darek Bell qui fait œuvre de pionnier en la matière et propose de nombreux exemples dans son ouvrage Fire Water – Experimental Smoked Malts and Whiskeys, publié en 2013. Mais tournons-nous plutôt vers le continent européen.

 

Quarante brevets

Considérons d’une part une distillerie remarquable comme Belgian Owl, qui a décidé d’investir dans les anciens alambics de Caperdonich quand elle a été mise au défi de renforcer ses capacités de production de whisky, la demande ayant commencé à dépasser son offre. C’est pour ainsi dire un pas en avant très traditionnel. D’autre part, à Amsterdam, une entreprise dont la réussite se nourrit de l’innovation, a conçu un tout nouveau type d’alambic qu’elle a appelé iStill. Lorsqu’on lui pose la question du nom du produit, le propriétaire et concepteur Edwin van Eijk, Odin pour les amis, évoque tous ces objets remarquables dont le nom commence par la lettre « i », précisant dans une vidéo que cette marque lui a été inspirée non seulement par Apple mais aussi par Dell, ce qui n’est pas banal.

L’iStill s’enorgueillit d’apporter nombre d’améliorations à l’art ancestral de la distillation, l’alambic réunissant à lui seul pas moins de quarante brevets. Les caractéristiques les plus notables de cet équipement sont sa forme, son matériau, sa polyvalence, son rendement et ses coûts d’exploitation. De forme cubique, et non sphérique, l’iStill est fabriqué en acier inoxydable. À l’intérieur, des structures gaufrées en cuivre prennent en charge la catalyse requise pour débarrasser l’eau-de-vie des composés soufrés indésirables. La colonne qui surmonte la base cubique ne renferme pas de plateaux mais une sorte de natte, faite d’un tissage dense de fils de cuivre. Relié à la colonne, un robot sépare les têtes et queues de distillation du cœur de chauffe. Le fonctionnement de l’alambic est intégralement piloté par ordinateur. Il est possible de mettre en mémoire jusqu’à cinquante passes de distillation, avec leurs températures, profils aromatiques et degré de pureté. La seule action requise de l’opérateur consiste à saisir les données du programme pour obtenir le distillat souhaité.

 

Un alambic cubique

À la différence des alambics sphériques, la forme cubique provoque dans le vortex du liquide et des vapeurs des contre-turbulences qui se traduisent par une distribution particulaire plus efficace du contenu, censée accentuer les arômes et saveurs de l’eau-de-vie. Dans le cas d’un alambic à colonne traditionnel, le distillateur doit tenir compte de quatre paramètres au moins – température ambiante, température de l’eau, pression de l’eau et pression atmosphérique. Seul ce dernier paramètre doit être surveillé dans la colonne de l’iStill, selon Odin, ce qui facilite la mise en œuvre de l’alambic. En y ajoutant des mécanismes de chauffe directe (à l’électricité ou au gaz), la production est accélérée, son coût réduit et le profil aromatique des distillats renforcé.

Odin cite en exemple le cas d’un producteur de vodka qui souhaitait augmenter les rendements et la rentabilité de sa production. Il possédait un alambic traditionnel à plateaux de fabrication allemande, de 2 000 litres de capacité, avec lequel il produisait 220 bouteilles de vodka. Le seul coût du gasoil s’élève à 650 euros pour une passe de distillation, ce qui revient à quelque 3 euros par bouteille. L’alambic iStill 2000 fait le même travail : il produit 250 bouteilles pour une facture d’électricité de 48 euros, ce qui ramène le coût de la consommation énergétique à 20 centimes la bouteille.

L’iStill est une machine compacte dont l’intégration des éléments – chaudière, colonne et ordinateur – permet de réduire les coûts de maintenance. L’écran sert de panneau de commande et de saisie des paramètres : distillation réalisée avec ou sans la colonne, points de coupe, températures (réglables jusqu’au centième de degré) et durée de la passe. À l’intérieur de la colonne, le robot décide des points de coupe pour passer des têtes de distillation au cœur de chauffe puis aux queues de distillation. Les têtes et queues sont redistillées dans la colonne où, arrêtées par une natte de fils de cuivre, elles ne retombent pas dans la chaudière, ce qui permet ici aussi de réaliser des économies d’énergie.

 

Cinq cents alambics installés

Mais il y a mieux encore : l’iStill peut également faire office de cuve d’empâtage et de cuve de fermentation. Rien d’étonnant qu’Odin compte de nombreux amis dans le petit monde de la distillation artisanale. Sur le site web de l’entreprise, toute une communauté de clients partage ses expériences et Odin publie régulièrement sur son blog des conseils pour améliorer la production.

Cela pourrait paraître trop beau pour être vrai, mais la réussite de l’iStill est éloquente et n’a rien de la science-fiction : plus de cinq cents alambics, de 250 à 5 000 litres de capacité, ont été installés dans le monde entier, de l’Alaska à l’Australie. Grâce à son système modulaire, il est relativement facile en cas de besoin d’augmenter ses capacités de production.

Pour illustrer le succès que remporte ce type d’alambic révolutionnaire, un échantillon d’entreprises ayant adopté une configuration d’iStill au cours des deux dernières années est listé dans l’encadré. Grâce à l’automatisation intégrale de l’iStill, la maintenance peut être réalisée à distance depuis Amsterdam via une connexion Internet. Son logiciel intégré permet de lire les résultats, de modifier les processus à distance et de corriger les erreurs intervenant dans le planning de production. «Nous avons même la possibilité de savoir si l’alambic est en cours d’utilisation ou non, précise Odin. Cela m’a donné l’idée d’une nouvelle commercialisation possible de notre alambic, sur la base de son utilisation réelle.»

iStill n’a peut-être pas encore conquis les milieux de la distillation traditionnelle, mais il représente un modèle potentiellement très attractif pour les distillateurs artisanaux envisageant de produire différentes sortes de spiritueux. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils se détourneront des méthodes anciennes et éprouvées, comme l’illustre la distillerie Dornoch dont les propriétaires, Phil et Simon Thompson, ont installé un iStill à côté d’un alambic à repasse en cuivre. Voilà précisément où la tradition rencontre l’innovation.

 

Par Hans Offringa

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