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L’industrialisation du whisky et sa mainmise mondiale ont nourri une certaine idéalisation du “small is beautiful”. Le hic ? Elle est basée en grande partie sur un malentendu.

La standardisation de la production des géants du whisky et la poussée ininterrompue des micro-distilleries a nourri dans un double mouvement un appétit locavore, un attachement au terroir (réel ou fantasmé), et il faut bien le dire une certaine idéalisation du “small is beautiful”. On raisonne toujours comme le clocher de son village, disait l’un de mes amis philosophe à ses heures. Mais le débat s’est rétréci dernièrement à un axiome lapidaire : petites distilleries = artisanat, merveilleux ; grandes distilleries = industrie, diable incarné. Et dans ce raccourci conceptuel, la question du goût est devenue subsidiaire. C’est bon ? On s’en fout, c’est industriel. C’est médiocre ? Tu déconnes, là au moins on sent la patte humaine. (Perso, je préférerais sentir le whisky, mais bon…)

Par principe, par militantisme, je comprends parfaitement ce louable soutien aux petits producteurs du coin, et j’y adhère sans réserves. Il explique d’ailleurs en grande partie le décollage du whisky français. Sur un plan journalistique, j’ai toujours plaisir à faire découvrir des micro-distilleries, y compris quand j’estime les produits pas aboutis (à mon goût), ce que je ne précise en général pas. Car elles prennent des risques – quitte à se planter – pour apporter d’autres couleurs au paysage du whisky : des grains ou maltages inhabituels, des mash bills créatifs, des process alambiqués (jeu de mots pourri parfaitement volontaire), des vieillissements proactifs, des expériences over the top (chocolate whiskey, nom de Zeus !)… Faut-il pour autant les opposer systématiquement aux “grandes distilleries”, en les parant de toutes les vertus ?

Définissez “petite” (vous avez 3 heures)

Faute de définition légale, on retient en général 3 critères pour valoriser les micro-distilleries au pays de Smallizbioutifoul. 1) Leur taille : petite. 2) Leur actionnariat : familial, indépendant. 3) Leurs méthodes de production : artisanales, traditionnelles, non mécanisées. Et avec ça, préparez-vous à réchauffer la béchamel.

Commençons par la taille puisque, décidément, ça compte. Et préparons-nous à recracher le premier os dans la sauce. “Petite” (distillerie) se définit en fonction de “grande” (et vice versa), dans un contexte, par rapport à une moyenne, et jamais intrinsèquement. En Inde, 100.000 habitants forment un village ; dans notre pays, une ville importante. Au Royaume uni, une montagne démarre à 2.000 pieds (610 m d’altitude)… soit une colline dans les Alpes, une taupinière dans l’Himalaya. Armorik , distillerie leader en France, crache environ 160.000 LAP/an et Kilchoman , maison de Hobbits sur Islay, quelque 200.000 LAP : la première est un géant (français), la seconde un nain (écossais). Question de perspective.

Le gigantisme qui a saisi le scotch complique encore un peu la donne : aujourd’hui en Ecosse, on parle de distillerie “craft” jusqu’à 1 million de litres d’alcool pur (LAP) par an, voire un peu au-delà. Une paille, évidemment, face aux Glenlivet et Glenfiddich (18 millions de LAP quand les dernières tranches de travaux seront achevées), Macallan (15 millions), Roseisle ou Ailsa Bay (plus de 12 millions) – sans même parler des distilleries de grain (Cameronbridge, 130 millions de LAP/an péperlito sans forcer).

Encore faudrait-il aussi contraindre les “petites” à ne pas grandir : Kilchoman, Arran et Edradour, par exemple, sont en train de doubler leur capacité : on décide dès à présent qu’on les boude ou on attend de goûter ?

L’actionnariat indépendant, c’est fabuleux sur le papier – et, là, je n’ironise pas. Mais alors, quid des micro-distilleries rachetées par un groupe ? Quelqu’un peut-il affirmer sans rire que le Domaine des Hautes-Glaces ou Westland ont rogné sur leur qualité et leur exigence en passant dans le giron de Rémy-Cointreau ? Depuis que Bacardi a mis un pied chez Teeling, vous mettez des glaçons dans le 21 ans ? Tuthilltown repris par William Grant, on parie que c’est ce qui pouvait arriver de mieux ?

Automatisation à Lilliput

Les méthodes de production, enfin, la patte humaine – encore elle. Au pays de Smallizbioutifoul, m’a-t-on expliqué récemment, la petite distillerie a un visage, celui du producteur, et c’est une vraie personne qui allume l’alambic, au lieu d’un tableau de bord. Il faut sans doute n’avoir jamais visité de distilleries – qu’elles fussent de taille XS ou XL – pour penser cela. La production d’alcool est l’un des péchés capiteux qui s’automatisent le mieux, et je pourrais vous citer une dizaine de minuscules et talentueuses distilleries, parmi les plus récentes, qui se pilotent intégralement à distance avec un simple iPhone. Comme une vulgaire GlenTruc ou MacMachin industrielle. Leur whisky est-il moins bon ? I think not. D’autres lilliputiennes ont fait le choix de sous-traiter certaines tâches comme le broyage du grain, et jusqu’à la fermentation parfois (excepté en Ecosse où c’est illégal), se faisant livrer la bière prête à distiller. Score moyen sur l’échelle de l’artisanat, non ? Je repose la question : leur whisky est-il moins bon ? I think toujours not.

La question du goût est pourtant la seule que j’aie envie de me poser quand je sirote un single malt : est-ce que c’est bon ? Est-ce que le produit respecte le consommateur ? Si la réponse est oui, alors, la taille de la distillerie, l’âge du capitaine, le prix de l’action à Wall Street… sans vous offenser, je vais continuer à m’en battre l’œil à la pelle à tarte.

Par Christine Lambert

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