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Hors période Covid les pubs et bars sont de plus en plus nombreux en France à célébrer la Burns Night. Mais qui était Robert Burns? Et qu’a-t-il fait pour mériter que le 25 janvier, les seules questions à se poser soient: où fêter l’événement et quel whisky déniaiser cette nuit-là?
(Cet article a été publié en janvier 2019, NDLR).

 

Whisky, haggis , cornemuse et poésie: l’Ecosse se réunit autour du même menu de souper le 25 janvier, qui marque la naissance de l’écrivain Robert (“Rabbie”) Burns (1759-1796), barde emblématique des landes où poussent les chardons. Oh, un détail cependant avant de mordre dans l’histoire: le poète, célébré en héros plus de deux siècles après ses funérailles, exerçait la profession abhorrée d’agent des impôts de Sa Majesté, chargé de collecter les taxes auprès des distilleries de whisky. Imaginez-vous en France ripailler une fois l’an en l’honneur d’un contrôleur du fisc? Only in Scotland…

Il suffit de taper “Burns Night” ou “Burns Supper” sur un moteur de recherche pour réaliser à quel point cette fête populaire écossaise a essaimé un peu partout sur la planète en suivant les diasporas au hasard des pubs. Le 25 janvier, on réchauffe la nuit entre amis, le whisky coule à flots, on déclame l’Hymne au haggis (“Address to a Haggis”) composé par Burns avant de sacrifier une panse de brebis farcie (morte), et les poèmes et chansons égayent les esprits pour peu que l’orateur ait du talent – dans le cas contraire, on s’en remet au scotch pour éviter la barbe. Mais à Dumfries, dans les Lowlands, là où est mort et inhumé Rabbie Burns, les libations s’étirent sur dix jours, quand elles n’occupent pas le mois. Et l’on commence à y venir depuis le monde entier pour assister au Big Burns Supper, moment de folie loufoque no limit, à vivre une fois dans sa vie.

Une muse liquide inspire sa poésie

“Freedom and whisky gang thegither, tak aff your dram !”, écrivait Burns (Whisky et liberté sont intimement liés, levez vos verres!). De fait, le scotch imbibe généreusement l’œuvre du poète. A Alloway, son village natal (aujourd’hui rattaché à Ayr), à 60 km au sud-ouest de Glasgow, le passionnant musée qui lui est consacré ne tait rien de sa vie mouvementée, de ses engagements libéraux et humanistes, de son admiration pour les révoltes populaires, de sa sympathie franc-maçonne, de ses liaisons illégitimes, de ses brumes dépressives… Mais il estompe curieusement la muse liquide ambrée qui rythmait sa poétique. Une affichette sur une vitrine s’émeut que l’omniprésence du whisky dans les écrits du grand homme ait nourri le mythe d’un quelconque abus: “Certes, il aimait boire un verre, mais il est peu probable qu’il aurait pu produire une œuvre aussi abondante et d’une telle qualité s’il avait été constamment ivre.” Faulkner, Joyce, Hemingway, Bukowski & Co se bidonnent six pieds sous terre.

Né dans une famille de métayers pauvres, aîné de 7 enfants, Robert Burns aide dès l’aube à la ferme depuis son plus jeune âge. L’école ne deviendra obligatoire qu’un siècle plus tard en Ecosse, mais son père, William, rêve d’un avenir meilleur et trime pour lui offrir l’enseignement d’un tuteur, le soir, quelques heures par semaine. Rabbie se risque à la poésie dès ses 15 ans, tropisme de l’adolescence, et jouit rapidement d’une petite notoriété. Mais ses verbes, fussent-ils tracés à la plume trempée dans le whisky, ne le feront jamais vivre.

Poète toujours, agent du fisc le jour

En 1784, il épouse Jean Armour, dont il aura 9 enfants – ses nombreuses aventures extra-maritales lui en donneront 4 de plus. Pour échapper à ses créanciers (et aux familles furax de ses amours illégitime), l’écrivain quitte l’Ayrshire et se réfugie dans le Dumfries et Galloway voisin. Malgré son engagement répété en faveur de la liberté et de l’indépendance des peuples, il est sur le point de s’expatrier dans une plantation où s’échinent des esclaves, en Jamaïque, mais se résout au dernier moment à accepter un emploi contre nature d’agent du fisc. La faim commande parfois à la raison, triste marionnette.

Contre un maigre salaire, Robert Burns devient “excise gauger”, chargé de traquer les fraudes dans l’acquittement des taxes dans les chais et distilleries, et de serrer les contrebandiers. Vaste dessein! Au mitan du XVIIIe, le scotch va changer d’échelle et entamer sa mue, d’une activité fermière de complément en une industrie de juteux commerce. La distillation illicite reste néanmoins florissante, y compris dans les Lowlands, et les “smugglers”, nombreux, qui trafiquent avec la frontière anglaise bien proche. Mais l’imagination se déploie tout autant dans les chais légaux pour arnaquer la soldatesque du fisc. L’une des astuces consistait à fixer dans les fûts de petites pièces de bois épaisses sur la douelle logée en aplomb sous la bonde, histoire de tromper la jauge des “gaugers” chargés d’évaluer la quantité de liquide à taxer.

“Les gaugers étaient – surprise, surprise! – extrêmement impopulaires, écrit Burns en 1788 dans une lettre à un ami. Pourquoi, alors, certains Ecossais acceptaient-ils de se charger de la tâche? Laisse le poète favori de l’Ecosse (le même qui a lié le whisky à la liberté) te l’expliquer – et s’excuser. Une ferme dont je puisse vivre, je n’ai point trouvé… Tu me condamneras pour l’étape qui suivait: je suis entré au fisc.” Le métier lui déplaît, mais la matière l’inspire, et quoi de plus naturel, somme toute, que de lever son verre en déclamant des vers ?

Boire de l’eau et mourir

“O thou, my Muse ! Guid auld Scotch drink” (ô toi, ma muse ! Bon vieux whisky écossais), écrit-il en 1786 dans le bien nommé “Scotch Drink”, tandis que la ballade “John Barleycorn” célèbre la mort de l’orge et sa résurrection en eau-de-vie. On retrouve une référence à John Barleycorn dans le célèbre “Tam O’Shanter”, ode à un fermier ivrogne. Aenas MacDonald relève toutefois dans son ouvrage “Whisky” (1930) que Burns, inlassable propagandiste du scotch, se classait plutôt parmi les consommateurs empressés qu’au rang des connaisseurs, sa prose éloquente s’attardant davantage sur les effets du breuvage que sur ses qualités organoleptiques. Ce en quoi les défenseur du barde répliquent en général qu’un homme capable d’écrire sans affèteries que le brandy anglais est dégueulasse (“burning trash” selon ses mots) démontre pour le moins une certaine aptitude aux exercices du palais.

Rabbie Burns s’éteint à 37 ans, un âge pas si tendre en ces temps où l’espérance de vie moyenne d’un Ecossais était de 39 ans. Gravement malade, en proie aux fièvres, il était allé se baigner et boire à la source voisine de Brow Well, dont les eaux bénéficiaient d’une réputation miraculeuse au XVIIIe. Et décédera trois jours plus tard – le premier agent du fisc mort d’un prélèvement à la source. Il meurt dans le dénuement le plus total, laissant une montagne de dettes à son épouse – épouse dont l’absence détonne parmi les quelque dix mille personnes qui se pressent à ses funérailles. Ce jour-là, Jean Burns donnait naissance à leur dernier enfant, Maxwell.

On dit que la différence entre tragédie et comédie dépend du moment choisi pour placer le mot “Fin”. Quelques années seulement après la mort du poète, ses écrits vont connaître une reconnaissance rapide et une large diffusion, célébrité post-mortem qui mettra définitivement Jean Burns et sa descendance à l’abri du besoin. Aujourd’hui, son œuvre est toujours enseignée dans les écoles d’Ecosse (contrairement à celle de son compatriote Walter Scott, pourtant plus connu sous nos latitudes), sa vie fait l’objet d’un culte qui n’a cessé de s’amplifier depuis qu’une poignée de ses amis se sont un jour réunis pour célébrer en chansons le 5e anniversaire de sa mort. Whisky, haggis, cornemuse, poésie. C’est sa naissance qu’on fête depuis lors de Burns Night, car les poètes ne meurent jamais. Tak aff your dram!

Par Christine Lambert

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