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Technique

Orge maltée

Délicate influence

Déterminer exactement comment, et dans quelle mesure, l’orge maltée contribue au caractère d’un whisky de malt, c’est une question cruciale, mais à laquelle il est très difficile de répondre. Ian Wisniewski apporte une réponse à cette problématique.

Par Ian Wisniewski

Qu’un whisky de malt exprime une élégance exquise ou une splendide richesse, je suis à chaque fois profondément reconnaissant qu’il me soit donné d’en faire l’expérience. S’il m’arrive d’avoir la possibilité de remercier personnellement le maître assembleur pour ce don, c’est le plus souvent d’un bar ou du fond de mon canapé que je lui adresse mes pensées pleines de gratitude. Et plus je savoure les arômes et les saveurs qui émanent de mon dram, plus je songe à l’extraordinaire contribution qu’apportent les fûts, mais aussi à celle de la levure responsable de la fermentation, phase fascinante au cours de laquelle sont créées tant de caractéristiques organoleptiques. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? L’orge maltée ne serait-elle pas aussi digne que l’on reconnaisse ses mérites ?

Une influence incontestable

L’orge maltée exerce en effet une influence qui peut être soit directe, soit indirecte, et d’intensité variable selon les différentes phases de la production, mais également en fonction du style maison prôné par chaque distillerie. La contribution la plus évidente de l’orge maltée, c’est le caractère de céréale, que l’on qualifie habituellement de “biscuité”. S’ajoutent à cela une note de vanille, et probablement même des composés phénoliques d’arrière-plan (qui cèdent un caractère phénolique de bas niveau) présents dans l’orge maltée non tourbée. Si l’apport de ces composés phénoliques demeure incertain, ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas des notes fumées et terreuses d’un malt tourbé.

On tend cependant à se focaliser sur l’amidon contenu dans le grain d’orge maltée, que l’empâtage (c’est-à-dire l’ajout d’eau chaude) transforme en wort (moût) qui est essentiellement un liquide sucré caractérisé par des notes de céréale. L’ajout de levure provoque la fermentation du moût, ce qui convertit les sucres en alcool, tout en créant différents composés aromatiques tels que les esters (notes de fruits). Se forment également des composés soufrés qui couvrent la gamme des notes végétales, charnues et caoutchouteuses.

Le profil aromatique de ce liquide fermenté, ou wash (bière de malt), dépend quant à lui de la durée de fermentation. «Une fermentation courte, d’une durée de 60 à 70 heures, produit une bière marquée par un caractère de céréale prononcé, explique John Ross, directeur de domaine technique chez William Grant & Sons. La concentration des notes biscuitées demeure identique dans le cas d’une fermentation plus longue, qui durerait par exemple de 90 à 100 heures, mais celle-ci produit une gamme plus intense de caractéristiques supplémentaires, y compris des esters (notes fruitées). Par conséquent, ce qui change à mesure que se prolonge la fermentation, c’est l’équilibre de ces caractéristiques. Le caractère du distillat reflète celles de la bière.»

Chez Bruichladdich, la motivation est limpide. «Notre phase de fermentation est relativement courte, car nous voulons conserver les arômes et saveurs de l’orge maltée, de sorte que notre bière a un caractère essentiellement composé de notes céréalées, biscuitées, accompagnées de quelques notes fruitées, indique Allan Logan, directeur de production chez Bruichladdich. Il s’agit de trouver un équilibre subtil, pour conserver une douceur maltée et la raffiner par la distillation.»

Le profil du distillat dépend lui aussi de plusieurs facteurs, notamment du cœur de chauffe. Celui-ci varie d’une distillerie à l’autre, mais consiste de façon générale à recueillir le distillat quand celui-ci titre 75% puis à cesser de le collecter quand il atteint 65%, ce qui donne un distillat de style fruité titrant 70%. Plus on abaisse le titre alcoométrique du point de coupe inférieur du cœur de chauffe, plus augmente la proportion de notes plus riches.

Distillat nec mergitur !

«En fonction du cœur de chauffe, on obtient plus ou moins de notes de céréale, fait remarquer Bill Lumsden, directeur de la distillation, de la création de whisky et de la gestion des stocks chez Glenmorangie. Plus l’amplitude du cœur de chauffe est importante, plus les notes biscuitées de céréale s’accumulent, sans que l’on obtienne une palette plus étendue. Le distillat de Glenmorangie est très fruité, très herbacé et délicat, les notes biscuitées de céréale y étant quasi inexistantes. C’est un résultat qu’on obtient en jouant sur le cœur de chauffe.»

Un autre facteur décisif intervient cependant en cours de distillation. «Nous pratiquons une distillation plus lente pour maximaliser le contact des vapeurs avec le cuivre, poursuit Allan Logan. Cela permet de réduire la proportion de composés soufrés, lesquels sont absorbés par le cuivre, et comme ils sont plutôt dominants, cela donne aux notes de céréales et à la douceur la possibilité de s’exprimer. Notre distillat se caractérise par sa délicatesse et un aspect malté distinct, accompagné de douceur et d’un soupçon de fruit. Quand nous expérimentons des distillations plus rapides, les vapeurs d’alcool progressent plus rapidement à travers l’alambic et entrent moins en contact avec le cuivre, ce qui aboutit à une eau-de-vie plus riche, mais ayant perdu de l’élégance et de la douceur maltée.»

Par conséquent, l’orge maltée est encore susceptible d’être directement présente (à des degrés divers) dans le distillat. Mais dans le fût, l’influence du caractère de la distillerie, c’est-à-dire le profil aromatique du distillat, commence à s’atténuer. À l’inverse, le caractère de la maturation, c’est-à-dire l’influence du vieillissement, se renforce : jusqu’à 70 % des caractéristiques organoleptiques d’un whisky de malt mûr se développent pendant l’élevage sous bois.

Quid du vieillissement ?

La maturation en fût se traduit également par une diminution supplémentaire du taux de composés soufrés (en partie grâce à l’évaporation), la douceur et les notes de céréales devenant dès lors plus perceptibles. Quant à savoir si le niveau des notes de céréales reste constant ou diminue (par exemple, à cause de l’évaporation), la question fait encore l’objet de recherches.

«On ne sait pas avec certitude dans quelle mesure les notes de céréales disparaissent en cours de vieillissement, ajoute Bill Lumsden. Je soupçonne que certaines d’entre elles, censément perdues, restent en fait dans l’eau-de-vie, mais ne sont plus perceptibles, car dissimulées par d’autres caractéristiques extraites du bois du fût par le distillat. Plus le vieillissement est prolongé, plus ces notes de céréales deviennent invisibles.»

De la même façon, les composés phénoliques d’arrière-plan, provenant de l’orge maltée non tourbée, s’effacent progressivement. «Les composés phénoliques de fond d’un malt non tourbé sont presque indécelables dans le whisky de malt parvenu à maturité, souligne Bill Lumsden. Les notes fumées et toastées présentes dans le whisky pourraient provenir du chêne d’élevage.»

De plus, les notes de vanille apportées par l’orge maltée sont “incorporées” aux notes de vanille bien plus intenses qui proviennent du fût. Il existe une constante, à savoir l’alcool, qui, bien entendu, provient entièrement de l’orge maltée. Mais quelle est donc la contribution de l’alcool ?

«La contribution de l’alcool à la texture et au corps d’un whisky de malt est considérable, mais il est presque sans saveur», explique Bill Lumsden.

Mais il est un arôme important présent dans le whisky de malt qui rappelle l’influence de l’orge maltée.

«Le caractère malté, qui est perçu en bouche à différents moments selon les personnes, c’est dans un whisky de malt mûr le lien le plus évident qui le rattache à l’orge maltée. Mais il y a tant de caractéristiques qui proviennent de l’orge maltée que je dirais dans l’ensemble que l’orge maltée exerce une influence moins directe qu’indirecte», conclut Bill Lumsden.

Ainsi donc, l’influence de l’orge maltée ne se laisse pas quantifier aisément. Mais ma conviction, c’est qu’il convient d’être reconnaissant pour tout, que cela soit ou non évident. Par conséquent, je dirais, pour terminer : merci, orge maltée !

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