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Le mot est sur toutes les lèvres. On le murmure dans les coulisses du cognac. On s’interroge, on s’insurge. Certains producteurs crient au sacrilège pendant que d’autres revendiquent le droit à l’innovation. Cognac finish or not finish ? That is the question !

 

Que les fabricants de whisky bonifient leur produit dans des fûts de Sauternes ou de xérès depuis le début des années 80 ne semble pas émouvoir les producteurs de cognac. Quand The Spirit Business (TSB) publie en début d’année son classement des 50 spiritueux les plus innovants, on lève un sourcil devant les Irish whiskey finis en fût de cidre (Tullamore Dew Cider – William Grant) et en fût de chêne vierge irlandais (Midleton Dair Ghaelach – Pernod Ricard). Le cocotier de la tradition est un peu plus secoué, lorsque le rhum de Martinique lance l’édition limitée J.M Finish en fût de cognac Delamain. Au pays du cognac, quand on parle innovation, plusieurs écoles s’affrontent. Entre respect du cahier des charges parmi les plus strict du monde, code de bonne conduite et compétitivité, le cœur des producteurs balance…

Quel champ de liberté laisser aux autres spiritueux vieillis en fût de cognac ? Quelle réciprocité autoriser aux producteurs de la célèbre eau-de-vie charentaise ? Partout dans le monde la concurrence est rude. L’heure est à l’aromatisation, aux aspérités du craft et aux séries limitées particulièrement recherchées par une nouvelle génération de consommateurs éduquée dans l’exploration du goût. Le cognac prend la tendance au sérieux mais il a une réputation à défendre. Doit-il sous prétexte de demande des marchés, perdre son goût, son âme et ses valeurs ? A-t-il vraiment besoin d’aller chercher ailleurs ce que d’autres lui envient depuis si longtemps ? « Le sujet est d’actualité et source de controverses », confirme Alban Petiteaux, fondateur d’Oenowood International. Évidemment pour cet homme du bois, l’élevage et la finition en fût sont une source inépuisable d’innovation. « Le cahier des charges de l’appellation cognac prévoit le vieillissement en fût de chêne mais ne dit rien sur le finish ». Le spécialiste résume pour nous un débat qui finalement s’annonce des plus simple : « Soit on cherche une tonalité issue du bois tout en restant dans le champ des arômes typiques et la norme de l’AOC (on parlera alors plutôt de « maturation » Ndlr), soit on sort du cadre réglementaire et on va chercher des arômes venus d’un autre spiritueux pour un véritable finish. » « À quoi bon ? », s’interroge Jean-Philippe Bergier, maître de chai de la maison Bache-Gabrielsen. « C’est quand même plus intéressant et plus valorisant d’innover dans le cadre d’un savoir-faire d’origine ». Ce défenseur de l’appellation cognac vient pourtant de mettre un coup de pied dans la fourmilière avec le lancement en juin dernier d’American Oak. C’est une première. Ce cognac vieillit en fût de chêne français du limousin, passe ensuite six mois dans des fûts neufs en chêne du Tennessee. « On pourrait me reprocher d’avoir fait un cognac avec la griffe bourbon, mais l’expérience va bien au-delà. J’ai souhaité élargir le champ des possibles tout en restant dans la norme. Le chêne blanc américain contrairement au chêne français est moins tannique et plus aromatique. Il fait partie du décor des vins de Bordeaux depuis longtemps. Il ne s’agit pas d’un finish mais d’une double maturation ». Avis aux amateurs, c’est bien le verre qui en parle le mieux. La dégustation est surprenante. Ce cognac est savoureux avec un nez à la fois frais et sucré (de classiques notes de vanille légère et d’amande mariées aux saveurs exotiques de noix de coco et d’ananas) et une bouche particulièrement veloutée et onctueuse. Une indéniable modernité, un goût de reviens-y qui pourrait bien séduire le plus délicat des palais et fâcher quelque peu les amateurs de cognac rustique et corsé.

 

Maison Ferrand, l’audacieuse

J’ai eu beau traîner mon nez dans les chais, cuisiner les maîtres assembleurs, si le cognac se lance dans le finish, le secret est encore bien gardé. À moins que, trop discret, le cognac n’ait pas encore valorisé une pratique tout droit sortie des recettes ancestrales. La maison Ferrand se distingue pourtant et ouvre la voie avec sa qualité Réserve au finish en ex-fût de Banyuls. Alexandre Gabriel, son dirigeant, préfère quant à lui parler d’affinage. Il s’est lancé il y a plus de vingt ans dans une quête louable et sans fin : réintroduire la diversité du goût que le cognac a perdu peu à peu. Alexandre Gabriel, l’audacieux, le passionné, le visionnaire, marche dans les pas des anciens maîtres de chais. « Nous avons oublié une partie de notre histoire. Je propose un nouveau chemin vers l’innovation : repousser les limites en travaillant nos classiques ». Textes officiels à l’appui, cet érudit nous apprend qu’en 1923, le vieillissement du cognac dans des fûts ayant contenu du vin était une pratique courante. C’était avant que la Charente ne devienne le cœur de la production de barriques. Aujourd’hui encore, le vieillissement du cognac est prévu en fût de chêne neuf ou ayant contenu du vin ou de l’eau-de-vie d’origine vinique. La Maison Ferrand pousse plus loin l’expérience avec sa gamme The Renegade Barrel, la bien nommée. La première expression (d’autres suivront) offre un cognac plutôt jeune aux délicats arômes de fleurs blanches, de miel et de tilleul affiné en fût de Sauternes. Avec une dizaine de fûts par an de ce cognac commercialisé à 48 % (les gammes classiques affichent 40 %, Ndlr), la Maison Ferrand n’a pas l’ambition de bouleverser le marché du cognac mais s’offre là un véritable outil de différenciation, qui n’est pas sans évoquer l’univers du whisky. Et si le finish devenait l’arme des “faibles”, de ces petites maisons qui tentent de préserver leur place à l’ombre du géant Hennessy et ses 48 % de part de marché ?

 

Pourquoi le cognac devrait-il se priver d’aller encore plus loin dans la technicité et la recherche d’arômes et de texture alors que ces producteurs ont toujours fait de son élaboration un acte de création ? L’équilibre et l’élégance sont-ils des arguments suffisants quand le consommateur demande de la diversité et des aspérités ? « L’idée n’est pas d’imiter les autres spiritueux, ni de rajouter ou masquer des goûts mais bien de renforcer et de mettre en valeur la multitude d’arômes intrinsèques au cognac », précise en puriste Alexandre Gabriel. L’effet de surprise est assuré. Parole d’une aficionado plutôt séduite par ces nouvelles signatures innovantes, malgré des règles de production contraignantes, AOC oblige ! Dernière minute : un bruit de couloir me chatouille les oreilles et la plume. À l’heure ou nous bouclons ces lignes, Martell (Pernod-Ricard), n°2 du cognac s’apprête à jouer les outsiders avec le lancement imminent de Blue Swift. On dit que ce cognac de type VSOP affiche sans complexe une finition en ex-fût de bourbon.

 

Par Christine Croizet

 

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