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Whiskey au chocolat ? Aux piments jalapeño ? Bourbon tourbé ? La plus ancienne distillerie de NYC depuis la Prohibition repousse avec talent les limites de la créativité. À la grande joie des amateurs.

La neige, tombée la veille en abondance, s’accroche salement aux semelles dans les rues mais dessine un col d’hermine immaculé autour de la distillerie. Il faut dire que nous ne sommes pas dans le coin le plus passant de Brooklyn puisque, depuis 2012, Kings County trône au milieu de la friche du Navy Yard, les anciens chantiers navals. Dans un somptueux bâtiment de brique XIXe où la ville a proposé à la distillerie de s’installer deux ans après sa création. On y entre comme dans un vaste loft digne d’une série américaine, où les fûts dorment à l’étage sur le parquet (une petite partie seulement, le reste est stocké dans des entrepôts de Williamsburg, non loin) en face de la boutique et du Boozyum, un mini-musée de la gnôle en forme de cabinet de curiosités. Là les fioles contenant les expériences hasardeuses et ratées (un distillat de sirop de cola, anyone ?) s’alignent en pied de nez auprès d’une dame-jeanne remplie de moonshine : “the first whiskey distilled in NYC since Prohibition”. Kings County dégage une vibration à part dans le paysage de la distillation new-yorkais, et pas seulement parce qu’elle est la plus ancienne à avoir posé ses cuivres au cœur de la mégalopole il y a seulement neuf ans. Cela tient pour beaucoup à l’insolente impression de facilité dégagée par l’entreprise qui, sans s’embarrasser de limites ou d’a priori, a fait de l’exploration sa mission. Colin Spoelman, maître distillateur et l’un des deux cofondateurs avec David Haskell, a grandi dans le Kentucky, la patrie du bourbon, condition non nécessaire et insuffisante pour devenir à moins de 30 ans un gourou de la distillation urbaine (1). Et c’est dans son appartement new-yorkais que ce diplômé de Yale s’exerce à la distillation de moonshine, activité domestique frappée d’illégalité mais, well… La distillerie démarre grâce à 30 000 dollars levés dans l’entourage, de quoi acheter huit minuscules pot stills de 20 l, qui seront par la suite remplacés par six autres, de 95 l, et enfin – la consécration -, par une paire de Forsyths de 650 et 1 000 l. Fini de jouer ? Non, justement.

Infusions à profusion

Kings County n’a jamais renoncé au moonshine, qui est resté l’un de ses best-sellers. Mais ce jour-là, c’est une puissante odeur de chocolat qui couvre celle de la gnôle dans la distillerie. Bientôt la Saint Valentin, on infuse des cosses de cacao dans le white dog, pour fabriquer le fameux Chocolate Whiskey qui fait fureur en cette occasion – plus original que les fleurs, avouez. D’autres infusions – épices, miel, pamplemousse/jalapeño… – s’insèrent avec malice dans la gamme, à côté des bourbons (un straight, un bottled in bond et un… tourbé), rye, single malt, whiskeys. À quoi bon monter une micro-distillerie si ce n’est pas pour s’amuser un peu ? Ce grain de folie et l’ouverture au public ont su conquérir les New-Yorkais, de même que l’ancrage local – la licence de ferme-distillerie oblige à se procurer au moins 75 % des matières premières dans l’État de New York. Tandis que le joli bar niché dans la muraille crénelée du Navy Yard, The GateHouses, nouait le dialogue avec les consommateurs tout en prolongeant l’expérience et le fun avec une belle sélection de cocktails maison.

Comme ses consœurs locales, la distillerie a d’abord fait – à peine – vieillir son maigre stock dans des petits fûts de 20 l, la plaie des micro-producteurs, avec un rapport bois/liquide difficilement gérable. Mais l’inventaire s’est diversifié, et elle utilise aujourd’hui 5 tailles de tonneaux : 20, 38, 57, 117 et le standard de 200 l. Un alambic de type kettle (un gros chaudron d’acier) de 5 000 l, arrivé l’an dernier, attend toujours d’être installé pour prendre en charge la première passe de la double distillation, afin d’augmenter la production (75 000 l d’alcool pur/an pour l’heure). Kings County distribue déjà ses produits dans 22 États et 7 pays, un exploit, mais New York is big, et le monde plus vaste encore.

Par Christine Lambert

http://kingscountydistillery.com

 

(1) Auteur de deux livres non traduits (malheureusement) : The Kings County Distillery Guide to Urban Moonshining (2013) et Dead Distillers : A History of the Upstarts and Outlaws Who Made American Spirits (2016).

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