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Le fût de chêne n’en finit pas de dévoiler ses secrets. Les progrès de la technique et de la science éclairent peu à peu les mystères d’une alchimie née d’un savoir-faire historique et empirique. Ces vingt dernières années, une grande partie de la tonnellerie française est passée de l’artisanat à l’industrie. Elle offre désormais aux vins comme aux spiritueux haut de gamme une source inépuisable d’innovation. Voyage au cœur de la barrique.

Voilà des décennies que je traîne mes bottes dans le vignoble du cognac. Loin des speakeasy de New York ou de Sydney, je me régale de ce paisible et discret pays des Charentes. Dans sa lumière si particulière de fin d’après-midi, je m’émerveille, assise à l’arrière des tracteurs dont les remorques débordent de vendange fraîche. Je déguste les arômes sucrés du raisin juste pressé, j’arpente les chais de vinification pour entendre le moût entrer en fermentation. Au cours de l’hiver, j’aime me réchauffer dans les distilleries et déguster en bonne compagnie l’eau-de-vie nouvellement née. Cette promesse de cognac, fierté du bouilleur de cru, exhale le délicat parfum de la fleur de vigne et de la poire fraîche. Mais ce que je préfère par-dessus tout, c’est découvrir les trésors abrités dans les chais de vieillissement. Au sein des incontournables barriques en chêne se joue la partition la plus délicate du cognac. Comme le terroir et le mode de distillation, le fût de chêne est une composante variable qui signe le style de chaque maison. Au fil du temps, il modifie la couleur, le goût et la texture de l’eau-de-vie. Il fait évoluer les arômes primaires du raisin et apporte des parfums complémentaires. Aujourd’hui plus qu’hier, le vieillissement en fût de chêne offre aux producteurs de cognac, gainés dans un cahier des charges exigeant, une palette nouvelle de différenciation et d’innovation.

L’innovation au cœur de la tonnellerie

«Pour coller à l’évolution des goûts, nos clients producteurs et négociants nous demandent beaucoup d’essais. Après avoir recherché le côté boisé, les amateurs sont aujourd’hui friands de notes gourmandes et apprécient en bouche les textures souples, dans les vins comme dans les spiritueux», affirme Jean-Charles Vicard, le PDG de la tonnellerie éponyme. «Nos clients nous demandent surtout d’être plus précis dans le choix des bois et le profil des chauffes. Avant nous parlions beaucoup de l’origine du chêne, la forêt du Tronçais ou du Limousin pour le cognac. De l’espèce : le chêne Pédonculé cultivé sur des sols riches pour ses tanins plus forts, le chêne Sessile plus aromatique et moins tannique. De la qualité des grains, plutôt gros et riches pour la maison Hennessy, légers et fins pour Martell», précise le tonnelier. «En poussant l’analyse beaucoup plus loin, nous nous sommes aperçus qu’un même arbre pouvait présenter des parties beaucoup plus chargées en tanins que d’autres». La tonnellerie Vicard s’est alors penchée sur le potentiel tannique du chêne. «Grâce à la spectométrie proche infrarouge, nous avons identifié trois cents types de tanins différents. Par cette technique, on procède au tri du potentiel tannique de chaque douelle entrant dans la composition d’un fût en trois classes». Ce procédé innovant de sélection du bois associé à une cuisson moléculaire permet à la tonnellerie de proposer des barriques homogènes, parfaitement caractérisées et reproductibles. Vous avez dit cuisson moléculaire ? «Notre mode de cuisson est unique dans la profession. Il permet une reproductibilité parfaite». Une visite s’impose.

Dans l’atelier chauffe, là où le bousinage de la barrique vient modifier l’apport en composés colorants et aromatiques du bois, les braseros à feu nu ont disparu du paysage. Exit le contact avec la flamme, la barrique est confinée dans un caisson. «La précision de l’outil entièrement informatisé a rendu possible la création de profils de chauffe inédits comme la cuisson graduelle, reposant sur l’augmentation progressive de la température par paliers successifs», décrit Jean-Charles Vicard, initiateur du procédé. De la teneur en tanins du bois de chêne, du temps de la chauffe, de l’intensité choisie en fonction de la complexité des eaux-de-vie vont naître des profils aromatiques qui participent à la signature de chaque maison de cognac.

«L’innovation a du sens si elle devient un levier commercial. Elle doit être comprise par les services marketing et par le consommateur», explique David Croizet directeur des opérations de la maison Larsen et maître assembleur du cognac Renault. «Pour le cognac, l’innovation s’exprime plutôt sur des éditions limitées. On touche peu aux gammes traditionnelles. Celles-ci profitent d’une amélioration continue de la qualité à travers les process», poursuit le spécialiste.

Quand l’innovation affine la tradition

L’actualité récente le confirme. À l’ombre des géants, des petites maisons, négociants comme producteurs, ouvrent des niches commerciales, jouant la carte de l’innovation sans pour autant trahir les fondamentaux de leur appellation. On a vu arriver sur le marché de nouvelles recettes de cognac portées par le renouveau du bar. La tendance craft revisitée tient bon mettant sur le devant de la scène des nouveaux acteurs comme la maison Bourgouin et sa vision précise des eaux-de-vie distillées maison «Je veux rapprocher mes cognacs de la palette aromatique du single malt des Speyside», explique Frédéric Bourgouin. En 2016, Bourgouin micro barrique voit le jour. Des petits fûts de dix litres sont surchauffés chez le tonnelier jusqu’à carboniser la surface intérieure du fût. Cette chauffe dite “crocodile” utilisée en finish absorbe une partie des alcools supérieurs et apporte à ce cognac de 1994 des arômes exacerbés de vanille.

«Alors que la valeur passait par la tradition pure, cela ne suffit plus aujourd’hui pour répondre à l’internationalisation des marchés et à l’évolution des goûts, explique Benoît Verdier, directeur des développements œnologiques de la tonnellerie Seguin Moreau. L’innovation doit répondre à des exigences économiques, qualitatives et commerciales. Il y a cinq ans, on s’est penché plus précisément sur le vieillissement des spiritueux afin de corréler des profils de bois aux caractéristiques aromatiques des eaux-de-vie. Nous nous appuyons sur la chromatographie en phase gazeuse afin d’identifier les molécules tanniques et aromatiques du chêne. Réalisées dans notre laboratoire, ces analyses permettent de repérer les variabilités d’un arbre à l’autre. Mieux comprendre la concentration des molécules et leurs interactions permet de préciser les profils aromatiques des eaux-de-vie. Cela ouvre le champ des possibles pour élaborer des eaux-de-vie légères à la fraîcheur florale mais aussi obtenir naturellement des caractéristiques très fumées voir tourbées». Après trois ans d’essais en collaboration avec la tonnellerie Seguin Moreau, la maison Bache-Gabrielsen a lancé en 2017 American Oak, le premier cognac VSOP affiné en chêne américain du Kentucky. «Chimiquement, certains chênes américains ont la même composition que le chêne français. Pour American oak, nous avons sélectionné des bois chargés en lactone bien connus des producteurs de bourbon pour l’apport en notes aromatiques de noix de coco. C’est un composé sensible à la chauffe, nous avons donc adapté le bousinage», précise Benoît Verdier.

Innovation ou volonté exacerbée de différenciation ? L’interprofession du cognac se penche sur la question au sein de sa toute nouvelle et bien nommée commission Innovation, consciente que les freins techniques du cahier des charges de l’AOC nourrissent la créativité des producteurs au risque parfois de dépasser les frontières de l’appellation. «Par l’assemblage, nous jouons les chefs d’orchestre», reprend David Croizet. «Nos choix de maturation diversifient nos ingrédients et offrent comme dans la double-maturation, des solutions aromatiques entièrement naturelles. Le cognac ne peut que profiter de ce pilier d’innovation», conclut le maître de chai du cognac Renault. Il vient de signer Avec, une édition limitée aux notes de moka et de torréfaction. Ce cognac destiné aux marchés scandinaves et au travel retail vise à relancer un mode de consommation prisé dans les pays nordiques, le café avec… avec un cognac évidemment.

Par Christine Croizet

© Yoshi – Doreau Tonneliers

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